Par Ryo Saeba (administrateur du groupe Facebook « Horlogerie Francophone »
Dans le cadre de la sortie de la nouvelle Bohen Square, j’ai discuté avec son créateur Blaise Giuliani. On a parlé de la montre, des inspirations et de lui-même. La conversation étant tellement intéressante qu’avec son accord, je tâche de la retranscrire pour vous.
Q : Comment expliquer le prix de la Square à 1836€ TTC sans perte de qualité par rapport aux modèles précédents qui sont à 3600 euros (Mille Mer), 3300€ (Stardiver) ou 2700 (prix de lancement de la Grande Marine) ?
R : C’est grâce à un modèle d’amortissement différent. On fait de gros investissements pour chaque montre, il faut notamment produire les outils, les moules, les process, qui vont servir à produire la montre. Quand il faut amortir tout ça sur 300 montres, ça impacte plus fortement le prix qui si on envisage un amortissement sur plusieurs années de production. Par contre, au départ c’est une exposition financière maximale.
Il y a aussi un autre levier pour limiter le coût sans compromis de qualité, c’est la négociation avec les fabricants.
Q : Donc la Square est là pour rester de manière pérenne dans le catalogue Bohen, comme la Grande Marine?
R : La Square est la première Bohen à être limitée en nombre de pièces par an mais pas nombre total d’exemplaires. La Grande Marine ce n’est pas le cas, il y en aura 500 au maximum (et peut être une variante à 250 exemplaires étanche à 1000m dans quelques années)
Q : Et ce sera combien d’exemplaires par an pour la Square?
R : On ne raisonne pas modèle par modèle. Tout confondu, on ne voudra pas produire plus de 1500 pièces par an. C’est-à-dire toutes les séries pérennes ou limitées incluses, comme la Stella Veloce ou les futures. On s’est fixé ce plafond parce que pour moi c’est la limite pour pouvoir avoir une attention particulière à chaque production. Je ne veux pas plus parce que ce ne serait plus ma façon de faire. J’aime les choses complexes et je suis obsédé par la fiabilité des choses, ça s’explique par mon Asperger. Mille-cinq-cent c’est raisonnable à cet égard même si c’est assez peu dans l’industrie des petites marques.
Q : Quand tu dis que tu es très focalisé sur la fiabilité et que ça s’explique par ton Asperger, peux-tu m’en dire plus?
R : Tu ne savais pas? Ce n’est pas un secret, ça fait partie de ce que je suis. J’ai 57 ans et j’ai été diagnostiqué à 34 ou 35 ans.
Quand j’avais 9 ans, mon père pensait que j’avais un problème d’intelligence, dans le sens qu’il croyait que j’étais trop lent. J’ai fait un test de QI et ce qui en est sorti c’est que ce n’était pas le bon diagnostic. (rires)
Donc oui, je suis très obsessionnel pour la fiabilité tout en étant attiré par les choses complexes. Par exemple, j’avais eu ma période à vouloir des motos anciennes. J’effectuais des réparations avant même qu’elles aient un problème de peur de tomber en panne. Je faisais de gros travaux, comme sur les boîtes de vitesses, alors qu’il n’y avait aucun signe de mauvais fonctionnement, juste pour être plus serein. Avec les montres aujourd’hui, surtout qu’elles sont très personnelles et que j’y mets toute mon âme dedans, je ne veux pas qu’il y ait le moindre problème. On a très très peu de SAV et il est toujours facilement géré. En tout cas, je pense pouvoir continuer à maîtriser cette fiabilité et ce SAV jusqu’à 1500 montres par an.
Q : D’ailleurs est ce que le succès est au rendez vous pour la Grande Marine?
R : La Grande Marine marche bien mais elle est un peu plus longue à vendre que les modèles précédents. On est aussi impactés par la politique internationale. On a 25% de clients américains et les annonces de Donald Trump se font clairement sentir pour nous. Quand on a nos clients américains en ligne, ils nous disent “sorry for Trump” (rires).
Q : Pour revenir à la Square, sur le site tu parles du Square Boucicaut à Paris, peux tu en dire plus?
R : J’ai été élevé à côté du square Boucicaut à PARIS.

J’ai gardé le mot Square pour le nom mais la montre a failli s’appeler Cochet. Mon parrain s’appelait Pierre COCHET, il était le fils de la princesse de Waldeck, diplomate et pasteur. Il était très intelligent et adorait raconter des histoires. Il a vécu 2 ans chez nous quand j’étais petit. Il avait inventé une légende sur ce square. Moi, comme tout enfant, j’étais très naïf. Il m’avait dit que le trésor de Mme BOUCICAUT était enterré dans le square. J’ai mis 2 ans à réunir tout le matériel nécessaire pour aller creuser et c’est au moment où j’étais prêt qu’il m’a avoué que ce n’était qu’une histoire.

Ce square est un souvenir d’enfance et le nom de la montre est arrivé avant le design.
Q : La lunette de forme assez épaisse avec un aplat sur le dessus rappelle les codes de Gérald Genta sur ses 3 grandes œuvres (Nautilus, Royal Oak et Ingénieur). Est ce que c’est un hommage en tant que designer toi aussi?

R :Comme tous les designers j’ai étudié Gérald Genta, le maître des maîtres, pour comprendre la perfection de son design. Mais je n’ai jamais eu besoin de ça pour dessiner. Je m’inspire de mon histoire, de mes souvenirs, de mes passions, et si je ne devais citer qu’une montre, ce sera toujours ma première montre, ma Kelton. Donc ce n’est pas du tout le point de départ de ma création.

Comme je disais, le nom Square est venu avant le design et Square en anglais c’est carré. (D’ailleurs le square anglais et le carré français, mais aussi le mot cadran, viennent du latin Quadrare “être carré”.)
Ensuite, le design en lui-même de la Square est fait d’une multitude d’influences diverses.
Q : Peux-tu nous donner des exemples de ces influences?
R : La Square a une couronne très grande.

Je me suis inspiré de la moto de ultra étroite d’un génie nommé John Britten, autodidacte de la course. Je me souviens d’une photo vue du dessus de la Britten1000 qu’il avait créée mais je n’arrive plus à la retrouver.

De là je me souviens de la moto du français Eric Offenstadt. Elle était très étroite car le moteur faisait partie du châssis.

Lisant son histoire, je découvre qu’après la moto il est passé à la course sur 4 roues. Je tombe sur une photo de lui avec une Lola qu’il avait lui même achetée.

Le rapport carrosserie-roue me saute aux yeux. C’est beau! Ça donne naissance à la vue de profil de la couronne.

Chaque détail est né d’une digression comme celle ci. C’est très difficile de remonter le fil parfois.
Q : As tu un autre exemple?
R : Oui j’en ai un autre mais il se mêle aussi à notre désir de signer notre montre par de la complexité technique.

Le chanfrein sur le côté qui s’épate le long de la corne me rappelle les pantalons en moleskine des gardians de chevaux camarguais avec leur couture le long de la jambe (mes parents avaient une petite maison en camargue quand j’étais petit).

Ce chanfrein exprime aussi notre savoir-faire car il est complexe: la côte est au centième de millimètre. C’est un raffinement qui a sa place sur une montre de ville.
Je veux que quelqu’un qui ne s’y connaît pas doit pouvoir comprendre qu’il s’agit d’une pièce de qualité. C’est par ce genre de détails qu’on apporte l’âme. Comme la couronne à 8 pans. C’est très difficile au polissage. Pareil pour les flancs diamants (ou pièces diamants) sur les côtés qui sont là depuis la Mille Mer.
On a des clients qui ont de très très belles collections et on veut être à la hauteur de leurs attentes, même si nous faisons le maximum pour que nos prix soient accessibles à des passionnés qui ont un plus petit budget. On veut pouvoir contenter le passionné qui va s’acheter 1 belle montre après de longues économies comme celui qui veut ajouter de l’originalité à une collection de grands classiques.
Q : Sur HF je constate que les Bohen plaisent mais que les dimensions de celles-ci freinent parfois à franchir le pas de l’achat. Je crois que cette Square est moins imposante en taille non?
R : Oui, elle est en 40mm au plus large de la lunette. L’épaisseur est de 9,98mm (malgré une étanchéité de 120 m) pour une longueur corne à corne de 47,5mm.
Q : Est ce qu’il y aura des éléments techniques particuliers sur le bracelet métal comme ça a été le cas pour les précédents modèles (comme les maillons sans outils de la Stardiver) ?
R : Pour l’instant on est encore en train de travailler sur le bracelet donc c’est encore secret.
Q : Est ce qu’il y a quelque chose à ajouter?
R : On va être présents au salon WeLoveWatches en octobre cette année, sinon les données techniques sont ici: https://www.bohen-watches.com/product-page/bohen-square.
Et pour Horlogerie Francophone, en tant que partenaire HF, on vous prépare des offres particulières qui j’espère vont vous plaire!
Si vous voulez en apprendre encore plus, vous pouvez retrouver l’interview filmée de Blaise : https://www.youtube.com/watch?v=1qIb708G3T0

Ryo Saeba


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